
51) Recueil de Nouvelles (146 pg) lu en 24 H
Quelle jolie découverte que ce recueil de nouvelles! Axel Sénéquier m’a fait un beau cadeau en me faisant découvrir son univers. Je vous invite sans hésiter à lire « Le bruit du rêve contre la vitre ». Le titre en lui-même est déjà une invitation à la lecture. Évocateur du thème et poétique à la fois. J’avais hâte de découvrir les nouvelles, qu’il contenait. Et quelle fraicheur!
Pour ceux, qui n’ont pas vu la présentation de l’auteur sur youtube, « Le bruit du rêve contre la vitre », ce sont douze nouvelles ayant pour thème commun le confinement et le Covid-19.

A travers douze histoires, différents lieux et personnages, différents points de vue aussi, Axel Sénéquier nous parle de cette époque où toutes nos certitudes ont été balayées, où les hommes ont vu la nature reprendre ses droits, où beaucoup ont compris, qu’ils n’étaient pas essentiels à la marche du monde, où d’autres ont réalisé l’hypocrisie de leur quotidien et ouvert les yeux… Le confinement a changé la vie de beaucoup de gens. Le covid-19 a ôté la vie et mis en avant les héros du quotidien, certains invisibles auparavant et pourtant essentiels, vivant dans l’ombre.
Certaines nouvelles auraient pu exister sans la thématique du confinement, différemment et garder de leur force. Axel évoque la violence subite par les femmes, les personnes âgées, qui meurent seules ou encore les tensions au boulot avec la tyrannie de certains patrons, nouveaux parvenus. Et toujours l’hypocrisie, les apparences plutôt que l’honnêteté dans les rapports humains mais justement, le confinement a fait tomber les masques pour beaucoup. Les mensonges vis-à-vis de nos vies et des autres se sont parfois dissous dans cette période étrange, oppressante, qui nous a ramené à l’urgence de vivre pleinement notre vie sans en perdre une miette.
Sans vous résumer chacune d’elles en détail, je vais vous parler d’une sélection, qui m’a le plus touchée mais j’imagine aisément que chaque lecteur sera touché différemment selon son propre vécu, ses propres expériences et ses relations à son environnement. Comme je l’ai souligné plus haut, de nombreux sujets sont évoqués. L’immigration notamment ou encore la précarité.
Commençons par la toute première, qui m’a immédiatement plongée dans son univers. « Les murs porteurs » traite des violences conjugales. C’est très bien amené, expliqué et on s’attache immédiatement à Pélagie. On comprend son affection pour son colosse à qui elle pardonne ses accès. On appréhende la chute mais l’auteur nous surprend en nous arrachant un sourire.
« « Je suis désolée. »
Chaque fois, ça se terminait de la même manière, par des excuses larmoyantes, qui dégoulinaient sur le tapis du salon ou formaient des flaques écœurantes sur le carrelage de la salle de bain. «
P.7
Poursuivons par « Les somnambules » la seconde nouvelle du recueil qui évoque les bénévoles qui intervenaient en EPHAD pour désinfecter et nettoyer les lieux contaminés par le virus. L’auteur nous fait ressentir l’effroi, les situations dramatiques et l’héroïsme des intervenants dans ces lieux isolés où la mort frappait. On accompagne Mathieu, un artiste polyvalent, musicien aquarelliste photographe et danseur, dans cet univers retiré du monde et touché par le virus de plein fouet. le courage pousse Mathieu à agir et à aider malgré les risques, malgré la pénibilité, malgré la mort. Et encore une fois, l’auteur arrive à mettre de la poésie et à nous arracher un sourire au milieu de la tragédie.
« L’art le traversait comme une inquiétude jamais rassasiée »
P.17
Beaucoup de parents se reconnaitront dans « Le chemin de l’école » ou du moins s’en amuseront. Un père surdiplômé pense profiter du confinement pour prendre de l’avance sur le programme scolaire avec ses enfants. Éventuellement leur apprendre des notions de codage et élargir leur horizon. Et il offre également une critique de nos addictions aux réseaux sociaux avec Facebook en ligne de mire.
« Ses enfants l’avaient prévenu . Facebook était démodé. C’était, désormais, un réseau social de vieux, une sorte d’Ehpad virtuel où les quarantenaires échangeaient des coups de gueule ridicules assortis de formules mêlant chantage et menaces voilées«
P.29
« Facebook était cette nana moyenne avec qui on sort pendant des années simplement parce qu’on n’a pas le courage de rompre.
P.29
Évidemment rien ne va se passer comme il l’espérait et le lecteur sourit des turpitudes de Victor, décontenancé par trois enfants âgés de 6 à 9 ans.
« En quelques semaines, Victor avait revu drastiquement ses ambitions à la baisse. Désormais, il n’était plus question de prendre de l’avance sur le programme ou d’élargir leur horizon, si ses trois enfants étaient toujours vivants au moment du déconfinement, ce serait déjà une victoire. «
P.34
Une nouvelle pleine d’humour rappelant que le confinement a permis de faire réaliser à de nombreux parents, que le métier de professeur ne s’improvisait pas.

« Fashion faux pas » arrive dans mon top 3. J’ai été soufflée par la fin. Une parvenue, qui tyrannise ses collègues.
« Cassante comme du verre, Cécilia avait l’empathie d’une table de ping-pong. »
P.56
Une influenceuse et youtubeuse de mode, qui méprise tout le monde sans s’en cacher et affiche plus d’un million d’abonnés. Un magazine recrute la youtubeuse et tout le monde va en faire les frais. Cécilia Vanilla n’attire la sympathie de personne et du lecteur encore moins.

« Pendant qu’il déambulait, hagard, au milieu des ruines encore fumantes de leur histoire, qu’il léchait ses plaies à vif, Cécilia ne se préoccupait que de son image. «
P.60
Et quand son amoureux est éconduit, on espère qu’elle aura enfin un retour de bâton. L’auteur nous surprend avec une chute à la hauteur de la nouvelle. On ne s’y attend pas, un joli twist et quelle surprise! Bravo!
« La crise de la quarantaine » évoque ceux qui ont reçu professionnellement mais ne sont pas épanouis humainement. Un homme va se découvrir une passion pendant le confinement et va caresser l’espoir de changer de vie. Qu’en adviendra-t-il après?
« Le bruit du rêve contre la vitre » la nouvelle titre, ne m’a pas convaincue de prime abord puis à un tiers (2 pages seulement), j’étais absolument emballée. Une nouvelle, qui parle de l’urgence de vivre pleinement sa vie. Poésie et fantômes y sont présents, rêves et blessures du passé, craintes et espoirs s’entremêlent.
« Depuis ma naissance, ma mère joue une partie de Docteur Maboul dans laquelle je suis le malade. Pour me voir souffrir, elle n’a qu’à lire la carte où sont répertoriées mes blessures, ce n’est pas compliqué, c’est elle qui l’a dessinée. «
P.81
A l’approche de la mort, l’homme revoit sa vie avec les yeux grands ouverts et offre un regard dénué de mensonge. Il pense à ce qu’il aurait fait autrement.
« Je ne serai plus sage, je serai fou et ridicule, je mangerais les étoiles et fendrais ma poitrine. J’arrêterais d’écouter le bruit agaçant que font les rêves quand ils se cognent obstinément contre la fenêtre. C’est parce qu’il n’est plus temps, que l’urgence m’étreint. «
P.85
La fin est également très poétique et magnifique. Vous en trouvez l’extrait sur la quatrième de couverture:
« Sandra doit arriver d’une minute à l’autre. Il faut qu’elle se dépêche car derrière la vitre, il y a le soleil bleu, la mer jaune et les étoiles violettes qui s’impatientent, il y a cette vie bourdonnante qui attend qu’on la libère, il y a ces rêves qui frappent au carreau et craignent de mourir emprisonnés. Alors épuisé mais heureux, je désigne la fenêtre. L’infirmière comprend et me sourit. Lorsqu’elle tourne la poignée, le vent impatient s’engouffre dans cette chambre close et renverse les fleurs. Le vase explose sur le sol. Et dans les morceaux épars répandus aux quatre coins de la chambre, la lumière du soir se réfléchit et nous fait plisser les yeux. »
P.87-88

« Sauvage « nous entraine avec Milou sur le chemin des sans-abris. Milou est une jeune femme, qui a préféré survivre dans la rue et a appris à se défendre. Elle évoque à demi-mots les contre-sens du système. Ici, la nature reprend doucement ses droits et Milou se fait discrète pour assister à ce spectacle, que je vous laisse découvrir. Elle trouve refuge au Jardin des plantes à Montpellier et nous la suivons dans ses aventures, saisissant ces instants à nul autre comparable. Pensée avec intelligence. Un regard tellement réaliste sur l’humanité et notre évolution, nos relations à ce qui nous entoure. La fin est pleine de bon sens et à méditer.
« Pourquoi toujours ce besoin de cueillir les fleurs ? Cela venait de loin, de la religion : « Reproduisez-vous, remplissez la terre et soumettez-là », de la culture. Il y avait toujours un truc à conquérir : l’Ouest, la Gaule ou l’espace, de la société qui nous poussait à dominer les concurrents, le tiers monde ou les femmes… Milou luttait pour s’extraire de ce marais puant et vivre sans exploiter quiconque. Pourquoi était-ce si compliqué ? »
P.98-99
« Marée noire » m’a beaucoup émue. Il évoque la solitude pendant le confinement et au sein des familles.
« Depuis son retour à la maison, Arnaud s’éloignait d’elle. Les secousses […] se faisaient toujours sentir et les continents qui constituaient la famille dérivaient lentement loin les uns des autres. La mère et le fils assistaient, impuissants, à leur arrachement mutuel. «
P.115
Je n’ai pas évoqué « Intégration » dont j’ai beaucoup aimé la chute où là encore, l’auteur nous arrache un sourire en évoquant une dissociation de l’esprit (L’un des personnages se rattache à un élément matériel pour échapper à la dure réalité.). Et « verre solitaire » qui conclue le recueil où une mère de famille participe à un apéro Zoom entre amis mais qui va tourner d’une drôle de façon.

Vous avez une vague idée de ce qui vous attend. j’espère vous avoir donné envie d’en savoir davantage.

Les nouvelles sont de qualité inégale. Certaines comme « Fermentation lente « ou « Balcons fleuris » ne m’ont pas touchée ou je n’ai pas adhéré au point de vue. Mais dans l’ensemble, elles sont de qualité, bien écrites, avec humour, poésie, sens des réalités et offrent une réflexion nuancée sur cette période, que nous traversons depuis plus d’un an maintenant. Les sujets abordés, je le rappelle, sont multiples et on peut facilement se retrouver dans l’une ou l’autre.
Une écriture humaine et sensible, remplie d’espoir et d’optimisme, qui sera la bienvenue en cette période toujours incertaine et délicate.
Belle lecture à vous!