George de La Tour

Ce peintre m’a toujours stupéfait par ses clair-obscurs, par ses flammes vacillantes, par ses visages plus que réels. La maîtrise des jeux de lumière est la clé dans ses toiles. Et quelles toiles! J’aurai aimé traverser les siècles pour apprendre à manier les pinceaux à ses côtés.

L’un des plus grands maîtres de son siècle, George de La Tour tombe pourtant dans l’oubli pendant près de trois siècles pour être considéré aujourd’hui comme l’un des artistes incontournables du XVIIème siècle.

Georges de La Tour est baptisé le 14 mars 1953, à Vic-sur-Seille. Élevé dans une famille de boulangers, il est le deuxième d’une fratrie de sept enfants. Sa jeunesse et sa formation restent des énigmes. Il aurait commencé à peindre lors d’un voyage en 1616 pendant lequel il aurait rencontré les peintres hollandais Gerrit van Honthorst et Hendrick ter Brugghen de l’école caravagesque d’Utrecht. Les œuvres de Georges de La Tour sont largement influencées par le travail du Caravage, une figure majeure du monde de l’art. Après son mariage avec Diane Le Nerf, une fille de famille noble, il pose ses valises à Lunéville. Il commence une carrière de peintre prestigieuse en travaillant notamment pour Henri II de Lorraine. Ses genres de prédilection sont la religion, les scènes de genre et les toiles réalistes. Lors de la guerre de Trente Ans, Lunéville est incendiée et contraint de La Tour et sa famille à fuir. Ils vivront quelque temps au Palais du Louvre sous le règne de Louis XIII, qui fera acquisition notamment de Saint Sébastien soigné par Irène. Il reçoit également le titre de « peintre ordinaire du roi ». En 1641, il rentre à Lunéville où il rencontre toujours un franc succès. Il meurt à l’âge de 58 ans, le 30 janvier 1652, à Lunéville, d’une « pleurésie », d’après son acte de décès. Tout laisse croire qu’il est en fait décédé d’une épidémie, comme son épouse et son valet emportés le même mois.

Parmi ses toiles , certaines ont retenu mon attention:

Saint Joseph charpentier 1642

Ce tableau de Georges de La Tour datant de 1642 pourrait s’intituler « Un artisan et son apprenti ». On y voit un homme et un enfant, on songe à un père charpentier et son fils.
Pourtant la toile s’appelle « Saint Joseph Charpentier ». En fait, l’homme que nous voyons est Joseph et l’enfant c’est Jésus. Il ne s’agit pas d’une scène banale de la vie quotidienne mais d’une scène religieuse.

Ici, le charpentier est penché, occupé à percer une pièce de bois avec une tarière, une pièce de bois qu’il maintient de son pied gauche. La pièce de bois semble être en réalité la croix de bois sur laquelle le Christ sera crucifié. Le tableau évoque donc la future mort de Jésus, pourtant représenté si jeune. Joseph semble déjà savoir ce qui attend Jésus, c’est ce qui donne une telle gravité à la scène.

Saint Joseph est vêtu d’une chemise aux manches retroussées, d’un tablier qui laisse apparaître le bas de ses jambes, et est chaussé de socques. Vu de trois-quarts, il est penché vers l’avant, et perce avec la tarière. À ses pieds des outils de menuiserie jonchent le sol ainsi que des copeaux de bois. À ses côtés, l’enfant Jésus vêtu d’une tunique, est assis de profil, il tient une chandelle qui éclaire la scène et dont la flamme fait apparaître ses doigts en transparence.

Le tableau est très sombre. La scène se déroule probablement la nuit. De la Tour a utilisé la technique du clair-obscur : les parties claires sont très contrastées par les parties sombres.
La  lumière du tableau semble venir seulement de la bougie. Elle traverse les mains translucides de l’enfant et illumine à la fois son visage et celui de son père.
Mais est-il logique que la simple flamme d’une bougie donnerait à la scène une telle intensité ? Pour peindre ce tableau, l’artiste a sans doute utilisé d’autres sources de lumière beaucoup plus puissantes car les visages semblent être éclairés par des projecteurs, comme s’ils se trouvaient sur une scène. En fait, les deux modèles auraient été peints séparément, par deux sources de lumière différentes.

Sur le tableau, la source majeure de lumière, n’est donc pas la bougie mais le visage de l’enfant. C’est lui qui irradie la scène. Ce traitement de la lumière confère à cet enfant un côté surnaturel.

« Saint Joseph Charpentier » a donc la particularité de représenter à la fois une scène religieuse, une scène de la vie quotidienne et une étude sur les effets de lumière ! Un tableau trois-en-un !
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La Diseuse de bonne aventure 1632-1638

« La Diseuse de bonne aventure » est une huile sur toile peinte par Georges de La Tour. Elle aurait été réalisée entre 1632 et 1635, selon un premier expert, et entre 1635 et 1638 selon un autre expert. Cette œuvre d’envergure (102 x 123 cm), considérée comme un chef-d’œuvre absolu, est fortement influencée par le Caravage (un peintre italien dont l’œuvre puissante et novatrice a marqué les esprits et révolutionné la peinture du XIIème siècle) en reprenant le thème de la diseuse de bonne aventure. Aujourd’hui, La Diseuse de bonne aventure est exposée dans le prestigieux Metropolitan Museum of Art de New York.

Le Tricheur à l’as de carreau

« Le Tricheur à l’as de carreau », ce tableau très célèbre du musée du Louvre, est un de morceaux de bravoure du caravagisme international, dont il existe une autre version à Fort Worth (Texas), au Kimbell Art Museum, le tricheur à l’as de trèfle, avec des variantes, sans doute une première ébauche pour celle du Louvre.
Un tableau du Metropolitan Museum de New York, « La Diseuse de bonne aventure » faisait sans doute pendant à la composition de Fort Worth.

Une scène de genre

Acquis par un collectionneur en 1926 chez un antiquaire de l’ile St-Louis, ce tableau signé du peintre a permis de le redécouvrir après un oubli total de près de trois siècles.
La toile représente un groupe de quatre joueurs, vus à mi-corps et à grande échelle. A droite, un jeune homme richement habillé, un peu maniéré, le visage poupin, est concentré sur ses cartes. Au centre, un peu à droite, une femme au décolleté plongeant, dirige par son regard et son geste l’œil du spectateur vers la gauche, où se trouve un tricheur, le visage dans l’ombre sortant discrètement un as de carreau dissimulé à l’arrière de sa ceinture. Entre les deux, une servante apporte un verre de vin. La scène est censée se dérouler dans un tripot mal famé mais rien ne l’indique clairement, à la différence des scènes de genre hollandaises sur ce thème, où tout est décrit scrupuleusement. Seuls éléments de décor : la table, les pièces d’or et les accessoires tenus par les personnages, cartes et verres de vin. Le temps semble suspendu, l’atmosphère feutrée et silencieuse. Même si les deux hommes sont légèrement au premier plan par rapport aux deux femmes, la composition est clairement en frise : trois personnages reliés entre eux par des superpositions à gauche et un plus isolé à droite. La lumière est égale pour tous, sauf pour le tricheur qui s’éloigne du « puits » de lumière du centre. Cet éclairage contrasté, joint à la thématique du tripot rapproche La Tour du Caravage.
Le plaisir visuel vient de la diversité des effets de matière, traités au moyen d’une touche variée : les cheveux brossés nerveusement en tous sens du tricheur, la coiffe beurrée de la servante, le visage extrêmement lisse de la courtisane, sans effet de modelé, les petits empâtements scintillants des broderies par exemple.

Une anecdote moralisante

Le tableau reprend un sujet introduit par Caravage : celui du joueur inexpérimenté dupé par un groupe de trois personnages de mauvaise vie. Il reprend aussi en partie le thème religieux de l’enfant prodigue. Le naïf jeune homme de bonne famille qui se trouve à droite est soumis aux trois tentations majeures selon la morale du XVIIe : le jeu, le vin, et la luxure.
L’aspect dramatique de la scène est à interpréter grâce au complexe jeu de regard et de mains. On peut ainsi imaginer l’histoire : entraîné par la courtisane dans le jeu, il va être enivré et dépouillé par l’homme de gauche. L’accent mis sur les perles de la jeune femme du centre, ne laisse aucun doute sur sa qualité de courtisane, de même que les aiguillettes nouées du jeune homme et celles dénouées du tricheur connotent le niveau social et l’éthique de chacun des personnages.
Les expressions, hormis peut-être celle du tricheur, sont extraordinairement fermées. La servante nous surveille, la courtisane surveille le tricheur et le jeune homme surveille ses cartes. Les mains, par contre, animent le jeu, activent le drame. Celles du jeune homme, malhabiles, se cramponnent aux cartes. Il semble crispé. La courtisane, au contraire, montre beaucoup plus d’aisance : une main est tendue, comme un appel, vers le tricheur ; l’autre plus raide dissimule les cartes et masque l’or déjà gagné. Le tricheur, enfin, triche en toute décontraction… en nous prenant presque à témoin !

Voilà quelques toiles du maîtres avec quelques analyses résumées, piochées à droite à gauche et restituées pour ceux et celles que cela pourrait intéresser.

Apparition de l’ange à Saint Joseph, vers 1640

Un petit dernier, que je ne connaissais pas, représentant Joseph et un enfant (un ange?), juste magnifique. Il fait concurrence sans peine à la photographie dans ce clair-obscur où les visages sont éclairés par la seule lumière d’une chandelle. Cette dernière comme symbole du temps qui passe faisant écho au vieillard endormi un livre ouvert sur les genoux. Le peintre a saisi dans un instant éphémère un moment d’éternité. Les personnages sont immobiles et le spectateur reste coi devant cette scène comme si George de la Tour avait réussi à peindre le silence.

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