» L’arbre d’obéissance » de Joël Baqué

106) un livre sur un saint (176 pg) lu en 3 jours

Joël Baqué nous emmène en Syrie dans l’Antiquité pour découvrir une figure incarnant l’ascèse religieuse, Saint Syméon, vue à travers les yeux de Théodoret de Cyr son hagiographe.

« C’est ainsi, la vie des hommes n’est pas un cours d’eau, elle coule vers le bas puis sans prévenir se prend à couler vers le haut.  » est la seule information présente en 4ème de couverture, une citation que l’on retrouvera dans le livre.


Théodoret de Cyr, modeste berger, nous conte son histoire et sa volonté de devenir moine et contre la volonté de son père. Il aurait accompli un périple à travers les déserts brûlants de Syrie pour rejoindre le monastère de Téléda et supporté plusieurs jours de mauvais traitements des prêtres à la porte de celui-ci pour mettre à l’épreuve sa foi avant d’être accepté comme postulant et de continuer les épreuves. On découvre que la fatigue est l’ennemi car les rêves ouvrent la porte aux démons. On est donc puni de s’endormir. Sourire est pécher. Rire est pécher. Manger trop est péché de gourmandise; trop peu est péché d’orgueil. Même boire est rationné. La souffrance fait partie de la vie monastique.

« Nous ne formions pas une communauté mais une floraison, une éruption de foi parsemant les étendues arides d’Egypte et de Syrie. Le désert était un miroir où nous cherchions la face de Dieu. Les plus fous empruntèrent des chemins qui n’existaient pas, certains réussirent même à ne pas s’y perdre tout à fait. Bien d’autres leurs succèdent aujourd’hui. « 

« Souvent, il m’arriva de pleurer car mon cœur s’affaissait dans ma poitrine, mes forces me quittaient brusquement, je n’aspirais plus qu’au sommeil, à dormir comme dorment les pierres, les arbres en hiver. La fatigue et le découragement s’abattirent sur moi avec bien plus de férocité que les coups de bâton, plus de constance que la malveillance de certains moines. « 

Le postulant est en bas de l’échelle et doit endurer. Théodoret nettoie les étables sans outil ni ustensile. Il doit le faire à mains nues et apporter les déjections des chèvres à l’extérieur en pleine chaleur chaque jour. Les mains écorchées sans rien pour les soigner. C’est sa tâche de postulant.
C’est à cette époque qu’il rencontre Syméon, novice au monastère de Téléda, qui pousse toujours les restrictions et l’ascétisme au limite du supportable pour l’être humain. Il finit par être exclu du monastère pour ces comportements extrêmes de mortification ( pratique d’ascèse religieuse qui consiste à s’imposer une souffrance, en général physique, pour progresser dans le domaine spirituel..).
Syméon va alors mener une vie hors du monastère radicale d’ascétisme pour se rapprocher de Dieu. Il va commencer par descendre dans un puits asséché dont seul il ne pourrait jamais remonter. Heureusement, il sera trouvé et sauvé. Sa foi étant plus forte que tout.
Puis il continuera son périple solitaire de prière et de jeûne. Il ira à Tellnessin où il se fera emmurer vivant pour les quarante jours du Carême, acceptant malgré lui les cruches d’eau et les dix pains que le prêtre du village lui aura imposé. Il restera emmuré à prier ces 40 jours et quand les villageois enfoncèrent la porte à la fin du Carême, ils le trouveront comme mort mais parviendront à le ranimer. Il restera 6 pains et une grande partie de l’eau. Syméon demeura encore 3 années dans cette cabane, ne sortant que la nuit pour les besoins du corps.
Après il cheminera vers l’est et suivi d’une foule dont Antoine qui sera son disciple jusqu’au bout, il choisit un endroit où il édifia un enclos de pierres sèches et demanda à un forgeron de lui constituer une chaîne de fer et de l’enchaîner à un rocher qu’il ne pouvait déplacer. Puis un homme, Mélèce, mit en doute sa foi : »que les entraves dont on se charge sont d’autant plus lourdes que la foi est faible«  et conclut « que celle de Syméon devait être bien fragile car sa chaîne et le rocher auquel elle était reliée auraient suffi à neutraliser un taureau« .

Syméon réagira à cette critique, qui remettra en question la force de sa foi.

« Les mots nous séparent des animaux et des plantes, ils peuvent aussi nous séparer de nos proches, nous rapprocher de nos ennemis d’hier, infléchir nos vies en un instant, y instiller l’erreur ou la Vérité. Ils se vrillent en nous, s’accrochent tel l’hameçon à la gueule du poisson. « 

Syméon demandera au forgeron de lui ôter ses fers et s’installera après sur sa première colonne de six coudées (2m74), plus prés du ciel et de Dieu où il restera 4 ans. Libre de s’en aller mais il ne le fera pas. Sur une colonne, on ne peut ni s’allonger ni s’étendre, juste être debout ou s’agenouiller pour prier. Ainsi exposé aux intempéries, à la chaleur, aux insectes, aux maladies, survivre est un exploit.

Siméon le stylite, icône (source: Wikipedia)


Il enchaînera sur une seconde colonne de 12 coudées (5m48) et y restera 12 années puis sur une 3ème de 22 coudées (10 mètres) pour 12 années supplémentaires qui attireront foule de visiteurs et lui vaudront le respect des empereurs tels Théodose II et Léon auquel il léguera sa tunique de berger. Il finira sa vie sur une 4ème colonne de 36 coudées (17 mètres) et y passera 16 années jusqu’à sa 69ème année le 2 septembre 459. Siméon le Stylite mourut en position de prière, les mains jointes et les yeux fermés, de sorte que ses fidèles mirent deux jours à se rendre compte de sa mort.

Pilier de Saint Siméon le stylite, Qalaat Seman près d’Alep, Syrie (Photo libre de droit )
Plaque de Saint Symeon au Musée du Louvre à Paris
Bas-relief en basalte (66 x 78 x 16 cm), vers 500. Musée de Hama, Syrie. St-Siméon est couronné par le Christ, figuré sous la forme d’un oiseau, tandis que le personnage sur l’échelle tient un encensoir (source: Wikipedia)


Syméon est le stylite le plus célèbre de l’Histoire. Son parcours religieux pour moi n’a aucun sens mais il en a eu et en a pour beaucoup. Il a tout sacrifié (famille, santé, joie de vivre,etc.) pour sa foi. C’était son droit. La souffrance physique était son quotidien pour se sublimer, se rapprocher de Dieu d’après sa vision personnelle. Je n’adhère pas mais je respecte sa vision. Ce livre est intéressant, très bien écrit également. Jean Baqué nous fait découvrir la vie d’un saint et d’un évêque même s’il prend des libertés (dans le livre, Théodoret agit contre la volonté parentale, dans la réalité il était voué à la vie religieuse dès la naissance et élevé par des moines). Syméon n’était pas seulement un ermite, qui pratiquait une ascèse extrême. Il était aussi un miracle humain, qui survivait à des traitements physiques extrêmes et qui a survécu à 44 années sur ces colonnes. On comprend que l’Histoire se souvienne de lui, qu’un mont porte son nom et qu’on se soit disputé sa dépouille et ses reliques. Mais au fil de la lecture, en parallèle, se dessine le portrait de l’évêque de Theodoret, qui se laisse vite décourager par les privations (vole de la farine, des bandages pour panser ses plaies, de l’eau à l’étable..), la chaleur du désert, la crainte de périr et renonce à ses projets d’imiter l’inégalable Syméon dont il nous conte l’épopée extraordinaire.

Je ne résiste pas au plaisir de mettre quelques citations, qui sont l’essence même du texte.

« Mes derniers séjours à Téléda ont souvent été écourtés par quelque messager m’informant de la défaillance d’une communauté contaminée par quelque idée nouvelle et donc fausse […] Le temps qui me reste, je veux le consacrer à combattre les écrits hérétiques. Il convient de les saisir et de les brûler, ainsi que leurs auteurs, afin que leurs graines toxiques n’ensemencent pas les esprits faibles. »

« Les coups de bâton se font moins nombreux […] C’est là une grave erreur […] Il est juste de briser autant de fois que nécessaire, c’est-à-dire souvent, cette carapace qui se forme autour du postulant, du novice ou du moine afin de hâter puis maintenir sa totale dissolution dans la règle. Oui, tous ces renoncements s’accumulent et au-dehors les hérésies prolifèrent comme les sauterelles après les sécheresses, le monde court à sa perte avec frénésie. »

Ce discours rappelle les extrémismes religieux d’aujourd’hui et fait froid dans le dos. J’ai eu du mal en le lisant à ne pas me convaincre, qu’il s’agissait là d’un temps révolu. L’Histoire se répète avec son lot de victimes et de fous sanguinaires agissant au nom de Dieu. Théodoret a fait massacrer des gens différents de lui, pas assez religieux, trop modernes selon lui tandis que Syméon a dédié sa vie à Dieu, inspirant les autres, se gardant de juger autrui et recevant également des critiques des moines pendant longtemps avant d’être vu comme un saint. Ce livre pousse à la réflexion et devrait convaincre tout en chacun de respecter les croyances d’autrui sans jamais intercéder.

Je conclurai sur cette citation :

«  Voici ce que je peux encore ajouter : le temps terrestre n’a pas de profondeur, il n’est qu’une surface où nous glissons, saisis par l’intensité de certains instants, abasourdis par la fugacité d’une existence. Nous sommes des enfants puis très vite d’anciens enfants aux peaux ridées, aux yeux tristes et qui perdent jusqu’au souvenir de ces années où le poids du péché n’était qu’une pierre enfouie aux creux de leur être. A peine arrivés, nous devons nous préparer à rendre des comptes, et notre faiblesse s’avère sans limite, elle est le seul infini que nous pouvons connaître ici-bas, sidérant comme une étoile noire plus noire que la nuit la plus noire. « 

Dépôt légal: août 2019

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