« Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » de Jean-Paul Dubois.

2) le Goncourt 2019, (254pg) lu en 10 jours

Alors le voici, ce fameux roman, qui a ravi la première place à tous les nommés du tant convoité prix littéraire, gage de ventes et de renommée supplémentaire. Le Goncourt 2019 m’a attirée par sa jolie couverture, qui arbore un ciel bleu azur et un hydravion illustrant déjà parfaitement son titre. Ce dernier composé de onze mots a éveillé ma curiosité. La nouvelle tendance est au titre long. J’ai ouvert au hasard et je suis tombée sur un passage sur le milieu carcéral offrant un aperçu du personnage de Patrick Horton, le codétenu de notre narrateur, un Hells Angel particulier. J’ai eu envie d’en savoir davantage. Nous étions fin novembre.

Le père Noël étant sympa, le Goncourt m’attendait au pied du sapin. J’avais d’autres livres sur le feu. Je me suis consacré entièrement à ce livre une fois terminé avec les autres, ravie de pouvoir découvrir ce supposé chef d’œuvre. J’avoue avoir été déçue. J’ai mis plus de deux cent pages à avoir envie de savoir la suite. Ce roman est très bien écrit, documenté et précis mais je ne suis pas vraiment entrée dedans. Un peu à la fin mais à peine. Quelle déception!

Jean-Paul Dubois donne aussi trop de détails technique ou de références (type d’insonorisation de l’orgue au temple, type de véhicules, hydravion, etc.) à mon goût. Cela n’ajoute rien au récit, bien au contraire. Je trouvais ça lassant, comme s’il voulait nous exposer ses connaissances et nous montrer qu’il maîtrisait son sujet. En voici deux exemples que j’ai trouvé juste en feuilletant le livre au hasard.

« ..gicleurs du bloc R985 Wasp Junior, et les 450 chevaux de son 9 cylindres en étoile transmirent leur puissance à l’hélice bipale Hamilton standard qui se chargea de fileter patiemment la résistance de l’air.. »

« La NSU Ro 80 -Ro signifiany Rotationskolben – était une familiale équipée du fameux bloc Comotor, le premier moteur rotatif Wankel… »

J’ai aimé certaines phrases bien tournées, des réflexions bien pensées et bien tournées mais je n’ai pas accroché à l’histoire, l’essence même du livre. Pourtant, il y a de bonnes idées. Le Canada, le Danemark et la France comme toile de fond du scénario. Des personnages variés aux origines multiples avec lesquels on peut vraiment faire quelque chose. La compagne de Paul est indienne et pilote d’hydravion. Le père de Paul, notre narrateur, Johannes Hansen est pasteur et scandinave. Il est marié à une française athée et féministe militante, qui tient un cinéma d’Art et d’Essai. L’histoire de Paul, de ses parents, l’émigration au Canada constituent des éléments intéressants mais l’auteur n’a pas réussi à me passionner. L’incarcération, le mystère de la cause de la condamnation de Paul, de l’absence de ses proches n’ont pas réussi à me tenir captivée. La relation avec son codétenu Patrick Horton est distrayante.

« Pour Patrick, le monde, avec ses crises et ses malheurs, se comprenait, s’interprétait, et s’étalonnait toujours à partir de la seule valeur stable de référence sur terre, la Harley « Fat Boy » « 

L’évolution du père aurait mérité d’être approfondie. On ne ressent absolument rien pour cet homme, aucune compassion. C’est pour moi, un manque. Sur un sujet tel que les addictions, le lecteur devrait être touché et souffrir avec lui, éprouver des craintes, de la tristesse. Rien. Je n’ai rien ressenti. Alors que d’autres romans m’obsèdent la nuit , m’arrachent des cris d’angoisse ou des pleurs, là, rien. Même les morts ne m’ont pas touchée. Échec total. Quand tout se révèle, j’ai trouvé ça davantage intéressant mais vingt pages sur 254. Je ne comprends pas le choix du jury du Goncourt. « Soif » d’Amélie Nothomb ou « Le ciel par-dessus le toit de Nathacha Appanah qui était dans la 2ème sélection auraient été de meilleurs choix selon moi.

J’ai lu des Goncourt, qui valaient vraiment le détour. En 2013, Pierre Lemaître nous livrait « Au-Revoir là-haut » , il était tout simplement génial. Une intrigue d’après-guerre juste captivante de bout en bout et tellement originale. J’avais dévoré le livre de bout en bout. Un vrai page-liner! Ou encore « Chanson douce » de Leila Slimani, en 2016, encore une réussite. Palpitant, effrayant et d’une justesse psychologique. « Syngué sabour, pierre de patience » de Atiq Rahimi, un roman fort sur la condition des femmes afghanes. Ils ont d’ailleurs tous les trois été adaptés au cinéma. « Pas pleurer« , Goncourt 2014, m’avait aussi beaucoup émue avec l’émancipation d’une jeunesse en Espagne dans les années 1936 contre les inégalités sociales et le patriarcat.

Vous l’avez compris, « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » de Jean-Paul Dubois ne m’a pas emportée ni bouleversée à mon grand regret.

Quelques citations qui méritent quand même d’être lues:

« Il suffit de prêter son attention et son regard pour comprendre que nous faisons tous partie d’une gigantesque symphonie qui, chaque matin, dans une étincelante cacophonie, improvise sa survie. »

« La détention allonge les jours, distend les nuits, étire les heures, donne au temps une consistance pâteuse, vaguement écœurante. »

« La nuit et les benzodiazépines, largement distribuées, commencent à faire leur œuvre. Bientôt le ventre de la prison pourra amorcer sa lente digestion, et, lentement, tous les hommes qui l’habitent, eux aussi, le temps d’une courte nuit, disparaîtront dans les oubliettes communes ».

« La prison nous ensevelit vivants. Les courtes peines peuvent espérer quelque chose. Les autres sont déjà dans la fosse commune. Et si d’aventure on leur accorde une remise de peine, ils iront, un moment, respirer l’air du dehors, mais reviendront ici, dans la maison des réprouvés, où on les appelle par leur nom, où on les traite comme des animaux de ferme. »

« J’aime la géographie des voyages, celle que l’on traverse à pied, à hauteur d’homme, instruit par les déclivités, la fatigue des jambes et le caprice des cieux. Beaucoup moins celle des livres enluminés de graphes et de data. »

« Les inégalités de la vie sont généralement reconduites et confirmées par voie de justice jusque dans notre mort »

Laisser un commentaire