« Dans les prairies étoilées » de Marie-Sabine Roger

44) Roman guimauve (304 pg) lu en 4 jours

Autant j’ apprécie l’auteur, autant pour le coup j’ai dû me forcer pour lire celui-ci. On retrouve le style particulier de Marie-sabine Roger, plein d’humour, avec des personnages originaux et emplis de défauts, qui savent voir au-delà pour s’aimer. Ici il est question d’un couple sur la cinquantaine, Prune et Merlin, qui tombe sous le charme d’une vieille bicoque à retaper perdue à la campagne mais qui leur réserve des travaux à n’en plus finir.

« Mais les maisons ont ceci de commun avec nous, les humains, qu’elles nous attirent, nous repoussent, ou nous laissent indifférents. Et parfois, c’est le coup de foudre, qui ne correspond jamais ou presque, à nos critères. On pourrait dire pareil des histoires d’amour. »

P.12

On pense que l’histoire va surtout être accès sur les surprises liées à ces travaux et à ses habitants rampants et grouillants mais non! Laurent, le meilleur ami de notre Merlin, auteur de bande dessinées et aquarelliste animalier, meurt soudainement sur le pas de sa maison à des kilomètres de là. Et Laurent ce n’est vraiment pas n’importe qui, c’est Jim Oregon, le héros de sa bande dessinée phare « Wild Oregon », qui se vend dans le monde entier ou presque. Sa muse sans qui Jim n’aurait pu voir le jour…

« Je n’y peux rien, c’est ainsi que je fonctionne, je suis une fabrique à produire du crobard, de l’esquisse, du dessin, au trait ou à la plume. Ça ne s’arrête jamais. J’imagine, j’invente, je compose, j’engendre, j’emprunte, je transmute, je transpose. je crée.« 

 » Autant je suis un minutieux, scrupuleux du détail, tatillon, méthodique, lorsqu’il s’agit de représenter le réel[…]autant pour la BD, je saisis, je harponne, je happe les idées, les regards les postures, tout ce qui passe à ma portée de grand prédateur de l’instant. »

P.40

« C’est le problème de l’artiste avec sa création. Obscurs Frankensteins que nous sommes, attachés de façon névrotique à nos bulles, nos cases, nos créatures. Illégalement squattés par tout ce joyeux petit monde en cavale, échappé malgré nous de nos cerveaux malades, par une porte dérobée. Une porte entrouverte dans le mur de l’asile qui donnerait sur la cour du fond et, par delà la palissade, sur le monde réel que je trouve parfois, moi, tellement peu crédible.
Les artistes sont poreux, ils n’ont pas de limites, leur imagination déborde sans arrêt. Leur univers transpire, puis se matérialise, devient réalité, se met à exister d’une existence propre. Il leur survit parfois.
Parfois même, longtemps. »

P.45

Merlin c’est notre narrateur, un brave type, artiste et fidèle en amitié, amoureux éperdu de sa Prune, qui a elle aussi, sa place dans sa bande dessinée. Il en est à son treizième tome et la mort de son ami va poser un sérieux problème. Ici, l’auteur n’hésite pas à mêler la fiction du personnage à l’histoire. On voit donc débouler les personnages du western en bulles. Et des vers vont faire irruption dans le roman pour faire surgir ces personnages hors-norme mais pour moi désobligeants. je n’ai sincèrement pas accroché.

Autant les vrais personnages, le plombier « bombala » (un surnom) , la tante Foune, l’Oncle Albert, Genaro, Lollie, ça passait un peu mais les autres, c’était vraiment too much. J’ai trouvé cette histoire pleine de bons sentiments mais bien que parfois ça passe, là , ça ne passait pas.

Par contre, j’ai apprécié le style de l’auteur et souvent sa vision de la vie. Son regard sur l’être humain, les rapports humains, notre rapport à la mort est juste. s’il n’est pas révolutionnaire (lisez plutôt « Thésée, vie nouvelle« ), il est bien exprimé et le lecteur s’y retrouve sans obligatoirement adhérer à tout.

« Nous poursuivons ainsi nos existences entre vides et manques, jetant des ponts fragiles entre nos abîmes, avançant à l’aveugle vers les jours à venir. »

P.50

« On peut croire que le temps passe. Mais c’est nous qui passons pour ne plus revenir. »

P.50

« Là où je voyais une femme un peu ronde, encore assez jolie mais somme toute banale, Laurent faisait la cartographie d’un continent perdu, se souvenait avec émotion de ses voyages au long cours, des heures de tendresse, et des nuits de plaisir. »

P.52

Le narrateur nous rappelle que l’amour est en somme, très subjectif et aussi que la force des sentiments garde en mémoire ce qui a été partagé et rend beau l’autre même si le temps a fait ses ravages.

« Le corps a beau lâcher, on n’efface jamais la mémoire du désir.« 

P.52

« Chacun de nous a sa propre façon d’annoncer les mauvaises nouvelles, suivant le degré de la peine et de l’intimité. Certains sont brusques, d’autres, précautionneux.

D’autres, encore, évasifs. »

P.53

« […] Toi aussi, tu es un matinal! Sais-tu que je me lève tous les jours à cinq heures trente? Vingt minutes de gymnastique, une douche, deux œufs à la coque, quelques pages de saint Augustin. Quoi qu’il se passe dans le monde, je le fais cela chaque matin, depuis plus de soixante ans. Mens sana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain, voilà tout le secret de la longévité.

J’ai approuvé d’un ton suffisamment alerte pour laisser supposer que j’agissais de même quand la douche est le seul point commun entre nos deux emplois du temps. « 

P.57

Un livre rempli de notes d’humour également.

« Les lendemains de deuil ont quelque chose d’étrange. Le froid semble plus froid, la lumière plus laiteuse. Le chat ne miaule plus de la même façon et ses miaous furtifs sombrent sans résonner dans le silence opaque. Tout semble falsifié. C’est une mauvaise copie des journées précédentes. Le temps ne passe plus, il s’égoutte à grand-peine. Et ce goulot d’étranglement pénible, dans la gorge. Et ce manque glacé, qui envahit l’estomac« 

P.61

« Les gens bruyants sont comme ces fumeurs sans gêne qui viennent vous souffler leur tabac aux narines . Ce sont des pollueurs qui nuisent sans scrupules à l’environnement. « 

P.80

« C’était un leurre […] il faudrait que je pleure. Le chagrin se planquait, m’attendait au tournant, je n’en ferais pas l’économie. Vouloir l’escamoter, c’était le meilleur moyen de l’enraciner plus profond et plus loin. […]

On n’enterre pas plus la douleur dans son âme qu’une taupe dans son jardin. »

P.81

« Mais Laurent était mort. Les morts n’ont plus de regard, ni d’oreille. « 

P.122

Tout ce qu’on a pas pu dire ne pourra plus être dit.

« Chaque mort d’un ami est une lampe éteinte, qui rend notre chemin un peu plus hasardeux.« 

P.128

« […] ce qui reste de nous quand nous ne sommes plus là : le petit tas de bordel au centre de la pièce, avec toutes ces choses dont ceux qui nous survivent ne savent pas que faire, et qu’ils n’osent pas jeter »

P.147

Encore une vérité que Marie-Sabine Roger dissémine dans son roman. On hérite des souvenirs de nos aïeules, on encombre nos caves et nos intérieurs sans oser les jeter par respect pour leur mémoire. Que d’objets inutiles mais ô, combien chargés émotionnellement!

« -…Ce sont les femmes qui nous façonnent. Toutes les femmes. Toutes. Je ne parle pas seulement de nos mères. Les mères sont au commencement, mais le commencement d’une vie, ce n’est pas le plus important, loin de là. Ce qui importe, c’est la fin. »

P.147

« Elle a aimé Laurent autant que peut aimer une femme amoureuse. Elle l’aimera toujours, et c’était réciproque, mais il y a eu l’alcool. La foutue dépendance , en maîtresse jalouse, qui lui a laissé de moins en moins de place dans la vie de cet homme qui était tout pour elle. Lolie a résisté, lutté, elle a prévenu Laurent qu’elle s’en irait s’il ne s’arrêtait pas. Il lui a fait des promesses solubles dans l’alcool. « 

P.151

« Prune est persuadée que le temps est un allié. Elle croit qu’en s’écoulant, il arrange les choses. Tout devrait lui prouver le contraire, à commencer par nous, pauvres humains. Nous vieillissons. Nous finissons.

Et les étoiles meurent. Les montagnes s’érodent. Les fleuves se tarissent.

Mais j’ai beau lui énumérer tout ce que le temps détruit, elle m’opposera que le printemps revient, que les arbres refleurissent et que nous nous sommes rencontrés au mitan de nos vies. « 

P.170-171

« La peste soit des gens qui voient la vie en rose »

P.171

Merlin nous fait sourire car il aime justement l’optimisme de sa compagne et même s’il lui oppose la réalité de la vie, elle lui oppose une autre, toute aussi vraie. L’auteur nous montre ainsi que tout dépend du point de vue. On peut toujours voir ce qui va mal en ce monde ou au contraire s’émerveiller de ce qui l’enchante. A nous de décider.

« Les morts ne sont pas tristes, il n’y a pas de raison que les vivants le soient »

P.177

Cette phrase – en pleine page – a résonné en moi. J’ai perdu un être cher en janvier dernier. Alors que je revenais d’une semaine à préparer les funérailles, à veiller littéralement le corps de ma grand-mère et à l’enterrer, j’appris que des êtres sans aucune décence pour les morts avaient volé ses plus belles fleurs sur sa tombe encore fraîche (la dalle n’était même pas encore posée!). Je disais, qu’elle allait être triste et mon fils de dix ans, bien plus sensé que moi, s’est approché et m’a dit: « Maman, ne t’inquiète pas, elle ne peut plus être triste maintenant qu’elle est morte. Elle ne ressent plus rien. « . Et j’ai réalisé à quel point il avait raison. Seuls les vivants pleurent les morts et ressentent la douleur de l’absence.

« Les soucis d’un artiste sont sûrement communs à bien d ‘autres métiers , même si notre narcissisme voudrait nous faire croire que nous sommes sans doute un petit peu plus uniques , un petit peu plus fragiles, beaucoup plus incompris que la moyenne des gens.« 

P178

« Les artistes sont poreux, ils n’ont pas de limites, leur imagination déborde sans arrêt. Leur univers transpire, puis se matérialise, devient réalité, se met à exister d’une existence propre. Il leur survit parfois.
Parfois même, longtemps. »

P.45

« Les promesses nous emprisonnent »

P.237

Encore une vérité qu’elle inscrit sur le papier mais est-elle valable pour tous? Non. Seule une catégorie d’individus s’engage véritablement corps et âme à tenir ses promesses. Beaucoup de promesses rompues, non tenues, vite oubliées car les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Une phrase, qui en dit beaucoup sur la conception de la vie de l’auteur ou celle qu’elle idéalise car cette phrase est portée par son narrateur. C’est intéressant.

« – Oui [..] Nous avons des torts partagés. Elle ne m’a pas rendu heureux. Et je suis resté, comme un lâche.

Il a raison. Le malheur se construit à deux.

Pour le faire durer toute une vie, c’est un travail de longue haleine.

A chaque jour il faut sa peine. »

P.264

Le narrateur ne fait pas référence à lui mais à l’Oncle Albert, un nonagénaire qui vit avec une femme avare, acariâtre, méprisante et insupportable, que ses amis et lui surnomment Tante Foune sans qu’elle n’ai jamais saisi le sens de ce sobriquet.

« Les morts ne meurent pas tant que l’on pense à eux, ils s’absentent, rien d’autre. »

P.290

Cette dernière citation aussi a fait écho en moi jusqu’à la première virgule. J’ai toujours répété que nos proches ne mourraient pas tant qu’on ne les oubliait pas mais pour moi, ils sont absents même si on pense à eux. Marie-Sabine-Roger continue en disant:

«  Il suffit de regarder leur portrait sur le mur, de se remémorer les heures de délires, de les aimer encore, ils reviennent aussitôt et l’on retrouve tout, la présence, les rires, les bonheurs partagés, la chaleur du moment. »

P.290

Je me remémore des moments avec ma grand-mère et avec mon grand-père mais la chaleur du moment n’est pas de mise… Les larmes affleurent, le manque est là, viscéral. J’ai perdu un ami il y a longtemps. J’ai revécu le dernier moment où je l’ai vu, deux semaines avant l’accident fatal mais jamais cela n’a été un moment heureux, cela ne me rendait que plus triste. On vit tous différemment notre relation à l’absence et à la mort. Marie-Sabine Roger a l’air d’être une personne incroyablement positive, qui profite de chaque seconde ou du moins essaie de l’être. Son univers est toujours rempli de personnages atypiques mais qui trouvent leur place dans ce monde imparfait et sont heureux. Des romans pleins de vie, de peps, qui semblent dire  » tout le monde a sa place en ce monde ».

Photo postée par Marina53 , extraite de Babelio
Marie-Sabine Roger, photo in Babelio

Si vous ne connaissez pas encore Marie-Sabine Roger je vous conseille pour commencer, sans hésiter  » La tête en friche », une histoire touchante, qui a même été adaptée au cinéma par Jean Becker avec Depardieu dans le rôle de l’idiot qui va se lier d’amitié avec une vieille dame et découvrir le plaisir des mots mais comme toute adaptation, on y perd beaucoup. L’un de mes préférés est sans aucun doute « Trente-six chandelles » suivi par « Les encombrants » qui traite avec beaucoup d’humour d’un sujet grave, les personnes âgées. Oui, ce sont eux les encombrants! Et « Bon rétablissement », adapté par Jean Becker également au cinéma par un magnifique Gérard Lanvain, fred testod, Jean-Pierre Daroussin dans l’homme bourru hospitalisé. Évitez « Les bracassées« , personnellement je n’avais pas accroché non plus.

L’auteur a écrit 93 livres, Littérature Jeunesse et Adulte. Il y a de quoi faire pour petits et grands. Vous ne manquerez pas de choix.

Et peut-être que ce roman vous plaira aussi malgré tout. J’ai lu des critiques très élogieuses, qui m’ont poussée à l’emprunter. Certains le qualifient de « pépite ». Sa moyenne est de 3.71 /5 sur 288 notes sur Babelio. En sachant que moi-même je mets rarement plus de 4 même pour un livre que je trouve exceptionnel. Et un bon livre, je lui donne 3 en moyenne. Là, j’ai mis 2. Personne n’a tort ni raison. Tous les goûts sont dans la nature. Nous avons tous différentes façon de ressentir et de lire un roman. Parfois aussi ce n’est pas le moment. J’ai lu des livres qui ne m’ont pas plu à un moment x de ma vie et que j’ai dévoré à un autre ou l’inverse. Essayer et voyez par vous-même!

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