« Qui a tué Cloves?: histoire d’une découverte hors norme » d’Axel Sénéquier

78) Témoignage & avancée médicale ( 224 pg) lu en 4 jours

« Nous, les artistes, sommes des passeurs d’émotions, mais les chercheurs, eux, sont des passeurs de vie, je dirai même les gardiens de nos vies.« 

Line Renaud, préface du livre, page 4

Axel Sénéquier revient cette année avec un livre d’un autre genre. Son précédent livre était un recueil de nouvelles avec pour thème le Covid. Le virus vu de différents points de vue dans différents espaces et dans différents scénarios, tous très réalistes. « Le bruit du rêve contre la vitre » m’a conquise mais ici, il ne s’agit plus de fiction inspirée du réel. Comme son frère, Guillaume Canaud, nous l’annonce dès la préface, tout est vrai. Ému par la découverte de son frère médecin, néphrologue, professeur universitaire et chercheur, Axel Sénéquier a décidé de raconter son histoire et celle des patients touchés par cette maladie orpheline, qu’est le syndrome de Cloves. Une maladie incurable et absolument atroce, qui défigure ses porteurs en provoquant des excroissances sur tout le corps dans une lente agonie. Peu de porteurs de cette maladie génétique atteignent l’âge adulte. Guillaume Canaud et son équipe ont changé le destin de ces malades, leur ont redonné espoir en faisant une découverte inespérée, qui a changé leur quotidien.

« L’histoire de cette découverte hors norme sur la maladie de Cloves est une avancée incroyable dans la médecine: elle a permis de sauver des vies et mérite amplement d’être racontée. »

Line Renaud

En 2016, il trouve pour la première fois un traitement à cette maladie rare et abominable, qui réduit la motricité des patients et leur durée de vie, les change en animaux de foire et les fait souffrir chaque seconde de leur existence. A l’hôpital Necker-Enfants, en 2018, Océane, 5 ans, débarque en fauteuil roulant. Origine modeste. Sourire angélique. Atteinte du syndrome, ses masses compriment sa moelle épinière, elle est paraplégique, vit avec une sonde vésicale et doit porter des couches. Un calvaire. Pas une vie. Et la maladie progresse. Les malformations remontent vers le cerveau. Le pronostic vital est catastrophique.

« L’histoire de cette découverte médicale n’est pas une fiction, et pourtant elle réunit tous les ingrédients de l’extraordinaire: en quelques mois, des milliers de vies sont sauvées, des enfants remarchent, une maladie épouvantable est terrassée, la science triomphe, le tout, grâce aux décisions d’un médecin que rien ne prédestinait à entrer dans la lumière. »

P.11

Elle débute le traitement en urgence. Une semaine plus tard, l’enfant prétend sentir bouger ses orteils mais la neurologue, qui la suit, reste sceptique et déclare que c’est impossible. Un mois plus tard, la fillette franchira les portes de l’hôpital appuyée sur un déambulateur, arrachant les larmes de toutes les personnes du service présentes ce jour-là. Guillaume s’en rappelle encore. Un miracle. Petit à petit, elle va récupérer toutes ses fonctions motrices et se débarrasser même de sa sonde. Océane va renaître et vivre enfin comme toutes les petites filles de son âge. Marcher, courir, faire du vélo. En 2019, elle ira à l’école pour la première fois, plus heureuse que jamais et s’avèrera être douée pour l’étude. Elle parle 3 langues couramment, aujourd’hui. Une enfant drôle et futée, libérée de la maladie.

« Le syndrome de Cloves est une maladie rare ET orpheline.« 

Zoé en consultation

Emmanuel, le premier patient de Guillaume, pour le syndrome de Cloves, va nous être présenté. Son parcours et sa personnalité qui force l’admiration. Un homme courageux qui a toujours fait face à la maladie, à la douleur sans se plaindre. Musicien etsportif malgré le handicap jusqu’à ce que son corps le stoppe complètement. Optimiste de nature et être passionné par l’infiniment petit, il fait de grandes études dont Polytechnique où il excelle.

On va apprendre le mauvais diagnostique, courant chez les porteurs de la mutation du gêne PIK3CA responsable du syndrome de CLOVES, l’un des responsables de la très grande sous-estimation du nombre de porteurs du syndrome en France et dans le monde. Pour Emmanuel, on l’a étiqueté « Syndrome de Protée » et l’origine de ce nom, nous est expliquée dans la mythologie grecque. je vous liasse découvrir ainsi que le parcours de cet homme au courage à toute épreuve. Celui par qui tout a été possible, qui a accepté d’être le premier cobaye, sans savoir si cela marcherait et les risques encourus.

Guillaume Canaud aux côtés d’Emmanuel son premier patient atteint du syndrome de Cloves

Une aventure médicale qui a sa part de hasard. Guillaume est néphrologue à l’Institut Necker-enfants malades au sein de l’hôpital du même nom à Paris. Emmanuel lui était adressé pour ses reins. Le hasard fait bien les choses. Un homme, qui veut comprendre de quoi souffre exactement son patient. Il ne s’arrête pas à une première consultation. Et même quand il découvre qu’il n’y a aucun traitement sur le marché pour le mal dont souffre son patient, il décide d’en trouver un.

« Une maladie rare a une prévalence faible, une personne atteinte sur 2000, soit moins de 30 000 cas en France.[…]concerne peu de patients, donc peu de médecins, de chercheurs, de laboratoires, de traitements et de recherches.

Avant d’engager les investissements colossaux nécessaires à la recherche sur une maladie, l’industrie pharmaceutique s’assure des débouchés potentiels de ceux-ci. Lorsque la maladie concerne un cas sur un million (soit moins d’une naissance par an) le calcul est malheureusement rapide « 

P.18

On apprend l’issue funeste de cette maladie. Le quotidien des malades. Invivable pour la majorité. Certains n’arrivent même pas à la majorité.

« Une maladie est orpheline quand elle est incurable. Et là aussi, les mots ont une portée. « Incurable » évoque le cul-de-sac, la voie sans issue, l’impossibilité de soigner et a fiortiori de guérir. »

P.18

« L’arrivée progressive du handicap atténue la violence du traumatisme mais elle prolonge le deuil.« 

P.24
Complicité après avoir échappé à une mort annoncée

« S’il glisse avec malice […]qu’il n’a pas de plan épargne retraite, il se concentre sur le moment présent et s’attache surtout à habiter l’instant. Pas de regret, pas de plan de carrière, il ne regarde ni en avant, ni en arrière. Emmanuel est un peu Rock’n’roll! »

P.37

Axel Sénéquier nous parle de la recherche et des tests sur les souris . Un passage obligé pour valider les résultats malheureusement et avancer, sauver des vies.

« Néanmoins, ici, ces rongeurs ne sont pas sacrifiés pour tester des shampoings ou des eye-liners mais pour soigner des enfants atteints de maladies graves. »

P.48

« Une maladie sans nom, un corps qui n’en fait qu’à sa tête et des médecins qui cherchent des explications dans sa psyché, elle se désagrège de l’intérieur. Et plus Anne-Lise se révolte […] plus cela accrédite cette hypothèse confortable. « 

P.121

« En dépression profonde, elle est en mode survie. Parfois, elle pense se flinguer pour en finir avec ce lent naufrage qu’est devenu son quotidien. »

P.122

En allant à la rencontre des familles, et auprès de son frère également, il entend des témoignages étourdissants. La bêtise humaine, la curiosité malsaine, le manque de bienveillance, l’exclusion due à la maladie, la déscolarisation, la peur mais aussi des récits d’abandons d’enfants par des parents désarmés devant cette maladie, dans l’un des pays les plus peuplés et les plus pauvres au monde comme le Pakistan, par exemple.

« Guillaume me raconte l’histoire d’une petite fille pakistanaise: à sa naissance, elle était si déformée que ses parents l’abandonnent à la sortie du village. »

« Il y a quelques années, une amie, maman d’un enfant trisomique, prend le bus avec son fils. sans raison, une femme s’approche d’eux et s’exclame: « Quand on a un enfant comme ça, on le garde chez soi! » Personne ne moufte. Tout est là: la bêtise, la méchanceté, la lâcheté et , pour la maman, la douleur, la honte et la culpabilité. « 

P.56

« Les malformations engendrent l‘exclusion, le rejet et la peur.« 

P.57

L’auteur nous explique aussi pourquoi on ne lit pas « Canaud » comme nom d’auteur sur la couverture comme il est le frère de Guillaume, ce médecin, néphrologue et chercheur incroyable, qui a changé le destin de tous ces êtres, qui survivaient pour la plupart avant son essai thérapeutique et grâce auquel la vie n’est plus la même depuis la prise de la molécule comme vous le découvrirez dans ce livre documentaire, qui oscille entre témoignages et relater toutes les coulisses de cette histoire hors norme.

« Sénéquier » est un nom de plume mais pas seulement. Les sonorités de son patronyme sonnaient trop plat, trop carré au goût de l’auteur et « tragiquement ordinaire ». Notre auteur est un amoureux des mots et on le ressent à la lecture des siens. Il sait les manier avec justesse. Il n’a pas non plus choisi « Sénéquier » uniquement pour la douce sonorité de ses trois syllabes. Ce nom fait résonner en lui un être cher et avec lui l’enfance, qui lui est rattachée. Je vous laisse découvrir ce personnage haut en couleur, cher à son cœur.

« La maladie s’insinue partout et dévore peu à peu le quotidien »

P.64

« Quand il est trop fatigué, ses copains installent un matelas dans l’allée centrale de la classe et il s’allonge sur le sol. Il a ainsi effectué tout un devoir sur table (j’ai toujours trouvé ce nom idiot, comme quoi j’avais tort) par terre. Le compas s’enfonce dans le matelas. »

P.69

« Faire progresser la science le passionne mais le quotidien l’indiffère. »

Au sujet du père de Guillaume et d’Alex, néphrologue et chercheur également, P.75

Ce livre traite d’un sujet sérieux, d’un syndrome, qui touche de nombreuses familles et a rendu leur existence difficile, souvent tragique, mais il n’empêche son auteur de le remplir de beaucoup d’humour là où d’autres se le seraient interdit. C’est ce que j’ai aimé particulièrement dans ce roman, on apprend des choses, on découvre le quotidien de personnes, on l’éprouve, on souffre à leur côtés , on pleure aussi de joie, quand tout change grâce à la découverte d’un chercheur, qui ne lâche rien. On rit aussi aux côtés d’Axel quand il nous raconte le parcours chaotique, à ses débuts, de son frère, mauvais élève, qui a réussi le bac S alors que ce n’était pas gagné. Et qu’il nous retrace tout le parcours familial et ce monde si particulier de la médecine et de la recherche.

« Une blague circule dans les amphithéâtres: un prof demande à un étudiant en prépa et à un étudiant en P1 d’apprendre l’annuaire par cœur. L’étudiant en prépa répond: « Pourquoi? » , l’étudiant en P1 répond: « Pour quand?« 

P;82

« L’espoir est une plaie dont on met des années à guérir et dans laquelle il ne faut plus retomber si on ne veut pas souffrir. »

Loïc, 22 ans, refusait de croire au miracle, p.92

« Avant la naissance de Loïc, Nathalie s’est arrêtée de travailler. Elle a prolongé son congé de maternité du fait de la maladie et n’a finalement jamais repris. Une vie donnée.« 

P.97

« La détresse du patient épuisé se heurte aux mots maladroits du médecin pour le faire jaillir la culpabilité »

P.121

« Un jour, par hasard, tu apprends qu’un médecin à l’autre bout du monde a peut-être découvert un traitement , que fais-tu? Inutile de réfléchir plus loin: tu prends ton enfant sous le bras, tu achètes deux billets d’avion et tu te points à l’hôpital pour le rencontrer. Peu importe s’il faut casser le PEL ou annuler les prochaines vacances. »

P. 143

« Le syndrome de Cloves a un « retentissement social ». C’est une expression magnifique comme l’élément de langage d’un communicant ou la langue de bois d’un politique. Le bruit de la maladie se répercute comme l’écho dans la vallée et résonne dans le quotidien de la famille. La maladie change aussi le regard des autres, ou plutôt le révèle, dans ce qu’il a de plus mesquin. »

P.157

 » La maladie crée les mêmes parcours de vie cabossés, dresse les mêmes murs et blesse mêmement les cœurs. »

P.182

Axel Sénéquier explique que son frère n’a pas pris la grosse tête malgré le succès, les nombreux interviews, prix reçus, les médias, ses publications dans des revues spécialisées mais aussi généralistes dont celle internationale dans le très prisé magazine « Nature ». Tous ses proches, amis, famille et collègues abondent pour dire qu’il est resté le même. Dédié à son travail et malgré les sollicitations professionnelles, fidèle.

« Les chercheurs en blouse, usant leurs yeux dans l’objectif du microscope, sont les moines en bure abîmant leur vue sur les enluminures »

P.75

« Will Smith a dit un jour: « l’argent et le succès ne changent pas les gens. Ils ne font qu’amplifier ce qu’ils étaient déjà. » « 

P.209
Guillaume Canaud (Université de Paris, Institut Necker Enfants Malades,) in https://u-paris.fr/sante/pr-guillaume-canaud-recoit-un-nouveau-prix/

« Les chercheurs ne sont pas des stars, et c’est parfaitement injuste. Ils sauvent des vies dans l’ombre de leur laboratoires.

P.218

Comme le souligne l’auteur, ils consacrent leur vie à des causes qui les dépassent, tentent d’améliorer le quotidien de leurs concitoyens, de personnes, qui ne connaîtront jamais leur nom. « Souvent ils échouent » mais à de rares occasions, « ils réussissent » et changent le quotidien d’êtres humain, voir sauvent des vies, comme ici. Une histoire comme on aime à les lire, qui nous montre que la vie n’est pas faite que de tragédies et d’injustices. Les chevaliers blancs existent aussi Guillaume Canaud incarne ici l’un d’eux, vaillant, téméraire et bienveillant, qui sauve plus que la veuve et l’orphelin en guérissant ceux que la société a rejetés car ils ne correspondaient pas aux standards, leur redonnant espoir, santé et surtout une vie. Un remède contre la morosité ambiante à lire sans modération.

« Par-delà l’aspect médical ou humain, cette histoire nous renvoie face à nous-même […] Qu’est-ce qu’un héros? Que signifie réussir sa vie? Que restera-t-il de mon passage sur cette terre?« 

P.217

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